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Face aux enjeux climatiques et écologiques, à la perte radicale en biodiversité, nous pouvons facilement succomber aux sirènes du fatalisme.

Le fatalisme est cette idée que le monde dans son ensemble, et l’existence humaine en particulier, suivent une marche inéluctable, et que le cours des événements échappe à toute volonté humaine. Par conséquent, certains évènements vont advenir, indépendamment de ce que nous faisons. Cela signifierait que quoi que nous fassions, nous n’avons aucune prise sur le monde. Que nos actions n’ont pas d’impacts, pas de conséquences.

Je rencontre ce fatalisme chez nos concitoyens, élus, salariés, dirigeants qui estiment encore souvent que leurs actions, qu’il s’agisse d’éco-gestes ou d’actions d’envergures ont peu d’impact, voire ne servent à rien. Apporter la preuve contraire n’y change rien. Car le fatalisme est souvent fondé non pas sur des preuves tangibles, mais sur le sentiment d’impuissance qui met en miroir notre pouvoir d’action réduit à hauteur d’humain ou d’organisation, face à des enjeux de taille planétaire.

Je le rencontre aussi chez les acteurs de l’environnement et de la RSE, surtout ceux qui sont sur le terrain depuis longtemps, qui font face à l’inertie de leurs concitoyens, de leur entreprise ou de leur collectivité, et même plus largement à l’inertie à tous les niveaux de pouvoir. J’ai pu le rencontrer parfois chez moi aussi, l’investissement de longue haleine peut user face à l’inertie et au déni généralisés, et j’ai du plusieurs fois remettre à plat les raisons pour lesquelles je m’engageais et j’agissais, celle pour lesquelles ma structure Nature Humaine existait, et me re-aligner à ma juste capacité d’action sur le monde.

Redéfinir notre capacité d’action et pourquoi nous agissons est en effet une clé puissante pour retrouver l’envie et l’élan sur des enjeux pour lesquels pour l’instant encore le changement est très en-deçà des enjeux. J’estime que nos métiers sont à haut risque psycho-sociaux : très hauts enjeux, faibles moyens et peu de résultats. Le fatalisme, le sentiment d’échec, le sentiment d’impuissance font donc partie des ombres que nous devons parfois affronter et dépasser.

Bien sûr, croire le contraire, à savoir que nous pourrions à nous seul changer la donne, n’est pas la solution. Ce serait se parer d’une compétence digne d’un super-héros et tomber dans le piège de la toute puissance, porte direct vers l’épuisement.

Pour sortir ou éviter cette boucle peu féconde et épuisante, il faut tout d’abord comprendre que nous nous inscrivons tous dans une chaine causale, où nos actions ont nécessairement des conséquences. Pour comprendre notre place dans la chaine causale, nous devons définir avec finesse notre réelle capacité d’action. Sous-dimensionnée, elle nous plonge dans l’impuissance et l’inaction (et je rencontre nombre d’élus et de dirigeants bloqués par un sentiment erroné d’incapacité et d’incompétence, base de l’impuissance), sur-dimensionnée elle nous plonge dans la toute puissance et l’hyper action à tout va, peu efficace. Or, nous ne sommes responsable que de ce sur quoi nous avons une capacité d’action. Notre part d’action sur le monde équivaut donc à l’estimation juste de notre capacité.

Plusieurs pistes pour re-définir notre juste capacité d’action :

1 – Nous n’avons pas du pouvoir sur tout, et si notre pouvoir de contrôle est parfois faible, par contre notre pouvoir de maitrise peut être élevé : maitrise de notre propre compétence et capacité à développer notre maitrise des sujets que nous portons ou sur lesquels nous souhaitons agir. Et cette maitrise équivaut à notre capacité d’action sur le monde. C’est par cette maitrise de notre compétence que nous nous inscrivons dans la longue chaine de valeurs humaines. C’est cette maitrise que nous mettons au service des enjeux que nous défendons.

2 – Par ailleurs, si nos actions n’ont pas les effets escomptés, plutôt que de sombrer dans le fatalisme, au moins pouvons nous évaluer nos actions : sont-elles bien dimensionnées ? Agissons nous auprès des bonnes cibles ? Sur la/les bonnes thématiques ? J’ai accompagné et formé des centaines d’acteurs de l’environnement qui veulent trop souvent convaincre ceux qui ne s’estiment pas partie du problème (et donc pas non plus partie de la solution)*. Il y a cette idée très répandue dans les milieux du climat et de l’écologie que la clé de la transition se situe chez les individus non convaincus. Or, pourquoi ne pas mettre plus d’énergie sur ceux qui ont déjà une attitude favorable au changement, même s’ils sont encore pris dans leurs freins et peurs ? Ceux-ci ont besoin d’être bien accompagnés pour dépasser leurs résistances, construire leur motivation, leur vision du changement. Par ailleurs, le passage à l’action est l’étape la plus fragile du changement. Or avez-vous remarqué que ce sont les publics qui agissent que nous accompagnons le moins car nous estimons, à tord, qu’ils vont désormais se débrouiller ? Ceux qui changent ont besoin d’être accompagnés dans leurs efforts jusqu’à ce que le changement ne soit plus discutable et à la hauteur des enjeux.

3 – Le plaisir est aussi  une arme puissante pour neutraliser le fatalisme ou le sentiment d’impuissance et assoir notre capacité d’action. Par exemple, me centrer sur ce que j’aime faire, créer des processus d’accompagnement innovants, une réflexion innovante sur les enjeux écologiques et climatiques, est ce qui me nourrit au quotidien. Le plaisir est reconnu par les chercheurs en psychologie comme un des principaux moteurs du changement. Les travaux des psychologues Deci et Ryan notamment (modèle psychologique de l’auto-détermination), ont permis d’identifier les différents niveaux de motivation au changement et d’inscrire le plaisir comme une motivation intrinsèque puissante, car liée à l’individu lui-même (au contraire des moteurs extrinsèques moins puissants, tel que la contrainte, la récompense, la loi, ou le risque)**.

4 – Enfin, la raison profonde de notre action est le moteur permanent de notre engagement au long court. Y revenir, la clarifier et l’affermir va permettre de résister au sentiment d’impuissance et aux difficultés. Ainsi, agir pour la nature et l’humain et comprendre en profondeur comment les humains et les organisations fonctionnent, dans le but de les accompagner au plus prêt de leur besoin et de leur réelle puissance pour les mettre au service de la vie, est pour moi une passion, le « pourquoi » puissant qui m’anime. La raison profonde de mon action, construite et forgée depuis l’enfance et au fil du temps et des expériences, est inamovible. Le « pourquoi » nous agissons est de loin notre meilleure boussole pour garder le cap face aux vents contraires du fatalisme.

Séverine Millet – Nature Humaine

* On parlera ici de déni, si on se fonde sur le modèle du deuil du Dr Kubler Ross, ou de pré-contemplation si on se réfère au modèle Transthéorique du changement des psychologues Proshaska et Diclemente (1882).

** Je reviendrai ultérieurement en détail sur les différents niveaux de motivation capable d’actionner le changement en faveur du climat et de l’écologie.