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Le déni du climat et de la crise écologique est-il terminé, comme nous l’entendons parfois dire ?

Rien n’est moins sûr.

On trouve le déni dans les récents propos d’élus et de ministres suite à la sortie du rapport sur la biodiversité qui épingle l’agriculture comme cause première (« Non mais ce n’est pas l’agriculture, nous on est propre » – propos d’un sénateur agriculteur à un journaliste de France Inter). Ou encore dans l’annonce récente d’un doublement du nombre d’avions d’ici 2042, relayée sans commentaires par de nombreux supports presse. Ou encore dans l’investissement massif dans une technologie d’aviation « verte », avec toujours cet espoirs que nous pourrons voler comme avant (et alors que l’on sait qu’il sera impossible de fournir une telle quantité de carburant – Voir ICI), ou enfin le rejet d’une baisse de consommation de la viande, comme si nous pourrons continuer à vivre sans rien changer de nos modes de vie.

Le déni n’est pas que le fait d’une minorité, comme l’indique une récente étude réalisée pour EDF (voir mon dernier post) : « 29% des Français considèrent que si le réchauffement est réel, il n’est pas d’origine humaine. Avec ceux qui n’y croient tout simplement pas, cela fait 37% des Français » (Lire l’étude ICI).

Le déni se déplace, évolue.

Il se transforme et prend désormais plusieurs formes, qu’il faut apprendre à reconnaitre.

Il ne porte plus tant sur le problème ou ses causes, mais concerne désormais l’appréciation de l’ampleur des enjeux, l’évaluation de sa propre part de responsabilité, ainsi que la nature des solutions à y apporter.

Mais le mécanisme reste le même, avec comme émotion sous-jacente : l’angoisse. Celui du changement, celui de l’inconnu, celui de la menace que cela fait peser sur notre société, notre vision de nous-même et du monde.

Or face à l’angoisse, rien de sert de contre-argumenter. Car nous sommes face à une posture non pas intellectuelle, mais de protection biologique et psychologique contre une information vécu comme insupportable et insurmontable.

Nathalie Melcion et moi-même vous proposons un voyage dans le déni, pour mieux comprendre cette notion et savoir comment la prendre en compte et l’accompagner.

Nous vous le livrons en 3 parties :

Partie 1 – Comprendre le déni

Partie 2 – Les différentes formes de déni

Partie 3 – Accompagner le déni

Cette semaine, dans cette première partie, il s’agit de définir déjà de quoi il s’agit.

LE LIEN ENTRE DENI ET CLIMATO-SCEPTICISME 

Des chercheurs en psychologie et sociologie proposent désormais que le climato-scepticisme soit considéré non pas comme une opinion mais bien comme une forme de déni. Ainsi, l’écologiste social Haydn Washington (Washington, Cook, 2013 : 2), souligne que « de nombreux négateurs du changement climatique se qualifient eux- mêmes de “sceptiques” climatiques… Cependant, refuser d’accepter la “prépondérance des preuves accablantes n’est pas du scepticisme, c’est du déni et devrait être appelé par son vrai nom […] L’utilisation du terme “sceptique climatique“ est une déformation de la réalité […] Le scepticisme est sain à la fois dans la science et dans la société ; le déni ne l’est pas » (voir aussi Dunlap, 2013 et Powel 2011). On parlera alors plus clairement de « négateur du climat ». Le sociologue Riley E. Dunlap (2013 : 691-698) propose de nuancer la description, en soulignant que ces expressions recouvrent des positions différentes : « Il semble préférable de considérer le scepticisme et le déni comme un continuum, certains individus (et groupes d’intérêt) ayant une vision sceptique du réchauffement climatique… et d’autres le niant complètement ».

Concernant ce sujet ainsi que les causes multiples et les formes multiples de ce déni, on lira avec intérêt : « Changement climatique : déni, négation et climato-scepticisme », de Andrea Catellani, docteur en sémiotique (2021) et (https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A246771/datastream/PDF_01/view)

ET sur les différentes nuances du déni : « Fiction climatique et déni/denial », de Jean-Michel Ganteau, docteur en littérature anglophone (2022) (https://univ-montpellier3-paul-valery.hal.science/hal-03720754v1/preview/jmganteau_de%cc%81ni_article2.pdf)

COMPRENDRE LE DÉNI 

Refouler l’angoisse

Nous pouvons « postuler que le changement climatique, et plus généralement la situation écologique et les perspectives futures, sont source d’une déstabilisation très profonde pour chacun d’entre nous » (Jean Le Goff, docteur en psychosociologie)[1]. L’écologie devient pour beaucoup source d’angoisse.

Du point de vue clinique, le déni n’est pas une maladie, c’est un comportement psychosocial. Il désigne le refus de reconnaître une réalité perçue comme traumatisante, inacceptable et angoissante. C’est un mécanisme de défense naturel et inconscient, pour éviter un risque d’effondrement psychique, qui se met en place lorsqu’il est impossible à la personne de se saisir pleinement de la réalité trop angoissante. Le déni préserve notre sentiment de sécurité et nous protège des émotions fortes et du sentiment de perte à l’annonce de mauvaise nouvelle : décès, maladie, rupture, menace… et changement climatique.

Nous utilisons tous ce mécanisme, parfois en petites quantités, car ce désaveu de la réalité participe à une stratégie inconsciente de gestion émotionnelle. On a affaire ici à un processus archaïque enraciné dans la phase prélogique que traverse tout enfant. Mais la conviction  que « si je ne le reconnais pas, cela ne se produit pas » peut perdurer chez l’adulte dans certaines circonstances.

Le déni climatique, qui consiste à nier l’existence d’un changement climatique ou d’en nier l’origine anthropique (créé par l’humain) n’est donc en rien l’expression d’une opinion, comme leurs auteurs se le laissent croire à eux-mêmes, mais un mécanisme biologique, psychologique et émotionnel.

Déni et dissonance cognitive

Le déni est une façon puissante de réduire ce qu’on appelle la dissonance cognitive (Gosling, Denizeau, & Oberlé, 2006). Celle-ci est une réaction psychologique de protection, un mécanisme du cerveau qui intervient pour restaurer notre équilibre psychique en cas de fort stress issu de la contradiction interne entre plusieurs éléments cognitifs ou comportementaux divergents. On parlera de divergence interne (par exemple entre des valeurs, des pensées, des croyances, des connaissances) ou de divergence externe (entre des éléments internes et des actes contradictoires).

Ce mécanisme a été théorisé par Léon Festinger[2], alors qu’il avait infiltré une secte prophétisant la fin du monde pour le 21 décembre 1954 à minuit. Le soir venu, rien ne se passa mais, loin de renoncer à leur croyance, les membres de la secte s’exaltèrent, affirmant que le monde avait échappé à l’inondation grâce à leurs prières ! Cette nouvelle explication était une façon de résoudre la contradiction insupportable entre leur conviction et les faits : car toute dissonance cognitive se résout d’elle-même pour apaiser la tension interne et retrouver l’équilibre psychologique et émotionnel indispensable pour bien fonctionner au quotidien. Et elle se résout le plus souvent en allant au plus facile, ou au moins coûteux pour la personne au plan psychique, à travers notamment de fausses rationalisations et/ou la justification de l’acte problématique. Le déni se résout (ou se réduit) par la rationalisation de ses actes, par une mise au diapason de son comportement avec l’idée dérangeante (de nombreuses recherches s’y sont intéressés – Voir par exemple ICI), et par le déni.

Ainsi, lorsque l’information donnée sur le climat et l’action à envisager entrent en contradiction importante avec les valeurs, les pensées ou les actes de la personne, rejeter tout ou partie de la réalité est une façon efficace de restaurer l’équilibre de la personne.

Bien sûr, les postures climatosceptiques ou -rassuristes (voir tableau en partie II de l’article) et le refus des solutions peuvent reposer sur d’autres ressorts, tel qu’un certain cynisme lorsqu’il s’agit de préserver des intérêts contradictoires puissants, auquel cas ces postures auront pour vocation d’alimenter le doute et de retarder les décisions de nos dirigeants. Mais là encore, il peut y avoir, en soubassement et de façon inconsciente, une dissonance, et sous-jacente, l’angoisse du changement.

[1] “Faire face à l’éco-anxiété collectivement”. Entretien avec le psychosociologue Jean Le Goff – https://medium.com/anthropocene2050/faire-face-collectivement-à-léco-anxiété-entretien-avec-le-psychosociologue-jean-le-goff-6ddf604fb99f – Jean Le Goff est auteur d’une thèse sur le sujet “Militer au sein du mouvement Alternatiba : de l’angoisse à la mobilisation climatique”, disponible sur wwwtheses.fr

[2] Festinger Léon, Une théorie de la dissonance cognitive, 1957