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Le déni du climat et de la crise écologique est-il terminé, comme je l’entends parfois dire ?

Rien n’est moins sûr.

Après avoir vu dans l’épisode I la définition du DENI, voici la deuxième partie de cette exploration à travers les différents types de déni.

En bref – Les différents objets et niveaux de déni

Déni du problème (climatoscepticisme) Il n’y a pas de changements climatiques, ou alors ces changements sont sans lien avec les activités humaines (négation des faits)
Déni de l’ampleur du problème
(climatorassurisme)
Les changements climatiques sont un problème mais ce n’est pas aussi grave qu’on le dit (minimisation de l’ampleur)
Déni de responsabilité Les changements climatiques sont un problème, mais je ne suis pas responsable, mon comportement n’est pas un problème, c’est celui des autres qui l’est.
Déni des solutions Les changements climatiques constituent un grave problème, j’ai ma part de responsabilité, mais les solutions sont inacceptables, impossibles ou inutiles ou encore les personnes ne se sentent pas capables de les mettre en œuvre.
Déni passif
(indifférence, optimisme)
Les changements climatiques constituent un grave problème, j’en suis conscient et je peux m’engager mais, par moments, je préfère ne pas y penser et me dire que tout va bien (mise à distance du problème).

Nous ne parlerons pas ci-après des deux premiers cités dans le tableau ci-dessus, car déjà bien traités par la littérature. Nous parlerons des trois suivants, nouvelles formes de déni auxquelles nous devons faire face désormais de plus en plus. Comme nous l’avons vu dans l’épisode I, toutes les formes de déni ont pour lien commun l’angoisse sous-jacente de la perte lié au changement.

 Le déni de responsabilité

La notion de responsabilité est une notion simple : nous ne sommes responsables que de ce sur quoi nous avons un pouvoir d’action et d’impacts. Notre part de responsabilité équivaut donc exactement à cette capacité. Pourtant nous assistons depuis le début des années 2000 à une sur-responsabilisation des citoyens de la part des pouvoirs publics mais aussi des entreprises au motif que c’est le consommateur final de produits à impacts négatifs qui doivent par leur consommation changer le marché. Sous-entendu : les entreprises doivent uniquement s’adapter au marché. L’écologie et le climat sont des patates brûlantes que l’on se passe pour éviter de faire face à des décisions perçues comme difficiles, peu acceptables socialement et douloureuses. Ceci est parfaitement humain, mais crée une impasse profonde dans notre capacité collective et individuelle à agir et changer nos comportements.

Car notre action repose en premier lieu sur la reconnaissance que nous avons chacun une part de responsabilité et un rôle à jouer, et que plus nous avons de capacité d’impact et de nuisance par nos activités et plus cette responsabilité augmente. Notre responsabilité correspond donc à notre capacité d’impact. Que chacun prenne sa part exacte de responsabilité est un réel enjeu social et politique.

Le « déni des solutions »

On voit émerger depuis peu un déni des solutions, qui sont perçues comme inacceptables, impossibles ou inutiles. Ce déni s’accompagne souvent de croyances[1]  sous-jacentes profondes et socialement partagées :

  • « réduire ma consommation de viande, ce n’est pas envisageable » (ex de croyance sous-jacente et médicalement erronnée : il faut manger de la viande tous les jours pour être en bonne santé),
  • « la décroissance, ce n’est pas possible » (sinon il va falloir licencier, ce qui exprime ici une peur en réaction à l’inconnu que la décroissance sous-tend…),
  • « on ne va quand même pas instaurer des quotas pour limiter les déplacements de loisirs en avion » (de toute façon, l’avion zéro carbone sera là en 2035 – qui là peut exprimer entre autre une peur de perdre, de changer).

Du rejet pur et simple à la ridiculisation des solutions en passant par des formes d’optimisme technologique plus ou moins déconnecté des réalités[2], ces mécanismes sont différentes façons d’escamoter la réalité, pour continuer à faire comme avant, maintenir le statu quo beaucoup plus rassurant (car connu) qu’un avenir peut-être meilleur mais effrayant (car inconnu). La conséquence sera un refus d’accepter le niveau de changement nécessaire.

On pourra ajouter ici le déni de sa propre capacité à agir, fondé entre autres sur le sentiment d’impuissance. Or un sentiment fort de capacité est l’élément psychologique qui prédit le mieux le passage concret à l’action d’une personne, quand la fragilité de ce sentiment prédit un risque fort de passivité.

Les formes passives de déni

Enfin, comme le souligne le philosophe australien Clive Hamilton, à ces formes de déni actif s’ajoutent des phénomènes plus courants de déni passif, qui permettent à la plupart d’entre nous d’éviter ou de minimiser les mises en garde des scientifiques et de garder espoir et bonne conscience malgré tout : « je préfère ne pas y penser », « il faut rester optimiste », « tout finira par s’arranger »…

Ce déni latent renvoie à notre incapacité collective à soutenir le changement : étant donné l’absence de réponse collective satisfaisante et l’isolement des acteurs, tout un chacun, pour se prémunir d’un sentiment d’impuissance trop insupportable (car insurmontable en l’état), aura tendance à se dire « tout va bien quand même ». Même les acteurs les plus lucides et les plus engagés vivent une forme de déni latent et à bas bruit qui est indispensable pour supporter au quotidien tout autant l’inertie que les nombreuses mauvaises nouvelles, et continuer à vivre malgré tout, avec un équilibre psychologique et émotionnel acceptable. A bien des égards, cet « optimisme » est salutaire, c’est une façon efficace de se prémunir d’un excès de négativité et d’angoisse, pour préserver sa santé mentale, son équilibre interne et, in fine, ses capacités d’action. Mais, comme le souligne Clive Hamilton, cet optimisme peut à un certain stade devenir contre-productif : « persister dans l’optimisme s’apparente de plus en plus à une déconnexion de la réalité[3] », voire à une forme d’hallucination qui, au final, fait obstacle au passage à l’action chez ceux qui sont passifs.

[1] Définition de ce qu’est une croyance : persister à considérer comme vraie une donnée bien que celle-ci soit invalidée et contredite par les faits ou par la science.

[2] Pour un passage en revue de ces arguments, voir l’article édité par le média Bon Pote le 16/06/2022 : 10 idées reçues sur la sobriété des modes de vie (bonpote.com)

[3] Hamilton Clive, « Nous sommes tous des climato-sceptiques », in Controverses climatiques, sciences et politique (2012), pages 221 à 243. Accessible en ligne (payant) : Chapitre 10. Nous sommes tous des climato-sceptiques [1] | Cairn.info