La dimension humaine du changement est la partie la moins visibles de l’iceberg de la transition environnementale et climatique, car elle concerne la subjectivité de chacun et des groupes humains face au changement demandé. Pourtant c’est bien elle qui engendre les freins et les motivations les plus puissants-es.
A la surface émergée de l’iceberg, nous voyons toutes les causes pratiques et techniques à l’origine du problème et toutes les raisons objectives d’y remédier : nos modes de déplacement, de production, de gestion des déchets, etc. La partie immergée de l’iceberg nous montre elle tout ce qui en nous, de façon culturelle, anthropologique et psychologique a engendré ces choix, ces problèmes et ces solutions.
Tout changement même volontaire, même désiré, même rationnel vient confronter notre subjectivité profonde, souvent inconsciente ou mal identifiée. Pourtant celle-ci même inconsciente est active car très souvent, elle crée un mouvement de repli et de protection de notre éco-système personnel et collectif, et nous voyons alors dans le changement d’abord les contraintes et les risques et non les opportunités.
Plusieurs éléments de notre subjectivité, souvent inter-reliés, peuvent ainsi être identifiés qui vont interférer en positif ou en négatif sur la capacité réelle à changer. En voici quelques-uns :
- Notre éco-système personnel : cela inclue notre façon d’appréhender et d’interpréter la situation, de nous positionner nous-même face à la question écologique et dans le changement, mais aussi notre vision du monde et de nous-même et le sens que nous donnons au projet.
- Notre état émotionnel et perceptif : réactivité, refus ou acceptation, sentiment de frustration, d’inconfort ou de confort, ressentiment, doute, stress, sentiment d’être perdu, sentiment de complexité, etc. Nous pouvons être volontaire pour changer mais ne pas y parvenir car l’émotion dominante est plus puissante que la volonté.
- Nos besoins essentiels : de temps, de lien, de sécurité, de compréhension, d’écoute, de dialogue, etc. Non pris en compte, ils vont se poser en résistance. Les identifier permet d’adapter finement la réponse d’accompagnement.
- Nos résistances (autres qu’émotionnelles) : habitudes, croyances,
- Les conflits : conflit de priorités, conflit de valeurs, conflit de motivations, conflit de besoins, conflit de loyauté, etc. Ils nous emmènent dans une perpétuelle (re)négociation avec la réalité.
- Nos motivations : elles sont ce qui nous met en mouvement, mais sont trop souvent insuffisantes et insuffisament construites pour permettre de contrebalancer nos résistances et assoir un vrai changement pérenne. Curieusement, sur le terrain j’obsreve qu’elles sont souvent peu connues en matière de changement écologique et climatique, car peu questionnées et accompagnées, alors qu’elles sont l’unique moyen de permettre l’engagement dans le changement et la pérennité de ce changement. Construire une vraie motivation est un enjeu en soi.
- Le sentiment d’impuissance : inhérent à la question environnementale, à sa dimension planétaire, il est un marqueur puissant qui nous montre si nous sommes ou non dans notre juste capacité d’action. Il s’exprime dès que nous en sortons. Naviguer entre l’impuissance et la toute puissance nous montre que nous passons à côté de notre véritable puissance d’action.
- La temporalité : l’écologie nous met face à l’urgence, la finitude, la limite, la mort. Notre perception culturelle et mentale du temps est aussi un marqueur fort de notre déracinement de la réalité et nous place dans l’agitation, le stress et la peur. Déracinés, nous prenons des décisions en lien avec l’agitation de nos pensées. Le retour au présent, seule réalité tangible, nous permet de recontacter notre tranquillité et notre capacité à décider à partir de la globalité de la situation.
Tous ces marqueurs, qui inter-agissent en permanence dans nos choix de vie et dans nos choix tout courts, interfèrent nécessairement avec notre capacité à agir dans le sens de la transition écologique et climatique, que nous soyons citoyen, chef d’entreprise ou élu d’une commune, député ou ministre. Chaque marqueur, bien identifié, devient une clé puissante de transformation et même souvent un élément stratégique qui va nous permettre d’adapter l’action ou le projet au plus proche de la réalité et de la capacité de chacun à évoluer.
Séverine Millet – Nature Humaine – 23 novembre 2020.